Quelles sont les difficultés quotidiennes d'un enfant ou adolescent autiste, tdah, dys ?
Comme nous l'avons vu dans l'article précédent, les troubles neuro-développementaux vont impacter non seulement la vie scolaire, la capacité à apprendre, à acquérir de nouvelles connaissances mais aussi la vie sociale, les loisirs (les activités sportives, l'apprentissage de la musique, les jeux collaboratifs) et l'état émotionnel. Ainsi, rencontrant au quotidien des défis dans leurs interactions sociales, leurs apprentissages ou leur régulation émotionnelle, les enfants ou adolescents neuroatypiques essaient constamment de s'adapter, ce qui occasionne une grande fatigabilité. Chaque trouble a ses spécificités, chaque enfant ou adolescent a ses particularités mais on peut trouver un socle commun de similitudes.
Par exemple, en ce qui concerne les apprentissages, les devoirs sont souvent source de stress. Les méthodes de travail pensées pour les enfants "typiques" (non porteurs de ces troubles) ne sont pas adaptées, le matériel n'est pas toujours pertinent. Les enfants fournissent souvent beaucoup d'efforts mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le jeune est découragé, n'a plus envie d'apprendre, les parents sont épuisés et ne savent plus quelles techniques utiliser. L'enfant ou l'adolescent a du mal à rester concentré, il est fatigué, lent, il peut fréquemment avoir mal à la tête. La gestion du matériel scolaire est parfois difficile, notamment pour l'enfant dyspraxique et/ ou tdah: positionnement du crayon, de la règle, tenue du compas. Il peut y avoir des douleurs, des crispations dans le poignet ou les doigts. Les troubles occasionnent des lenteurs, de la fatigue, des performances irrégulières et des échecs nombreux.
Les conséquences sont aussi psychologiques et émotionnelles: anxiété, impulsivité, agressivité dans certains cas, hypersensibilité émotionnelle et sensorielle, perte de confiance en soi, baisse de l'estime de soi. L'enfant peut se sentir frustré, triste, en colère. D'autant plus qu'il rencontre aussi des difficultés à entrer en relation avec les autres. En effet, les interactions sociales comportent habituellement des composantes verbales (la parole) et des composantes non-verbales (expressions du visage) ainsi que des comportements socialement attendus (salutation, contact physique). Le jeune neuroatypique rencontre des difficultés pour:
- Décoder les intentions et les pensées de l'autre et adapter son comportement en fonction des attentes d'autrui, cette difficulté engendrant de la frustration ou de l'anxiété
- Comprendre et appliquer certaines règles sociales parce qu'elles ne sont pas logiques ou perçues comme hypocrites
Amorcer une conversation sans prendre le temps d'établir le contact par une salutation ou en validant que l'autre a du temps pour discuter.
Le jeune neuroatypique a beaucoup de mal à acquérir les fameux "codes sociaux", c'est-à-dire cet ensemble de comportements, signaux corporels, d'un système de langage (postures, vêtements, coiffure, accessoires ...) qui transmettent le message suivant: "J'appartiens (ou je n'appartiens pas) à ce groupe". Apprendre les codes sociaux permet d'être accepté par le groupe.
L'acquisition des habiletés sociales est elle aussi essentielle à l'inclusion. Elles se définissent comme des comportements spécifiques qui permettent d'interagir efficacement et de manière appropriée avec les autres, de prendre sa place au sein d'un groupe et d'y jouer un rôle valorisant.
L'hypersensibilité sensorielle ou hypersensorialité est un autre problème pour beaucoup d'enfants ou adolescents neuroatypiques, notamment pour ceux concernés par le Trouble du spectre autistique (Tsa). Définissons tout d'abord la sensorialité. Il s'agit de l'interface entre le corps et l'environnement. Les neurones sensoriels s'activent en fonction d'évènements appelés stimuli pouvant être de nature physique (une contraction musculaire, une pression à la surface de la peau, une vibration du tympan) ou chimique (une molécule odorante, une saveur sur notre palais) en vue d'en communiquer l'information au système nerveux central.
Quelle que soit sa nature, chaque évènement sensoriel (stimulus) est :
- capté par un organe sensoriel spécialisé
- transformé en influx nerveux: le message sensoriel est codé en message électrique
- acheminé par un nerf vers une zone du cerveau en passant par différentes étapes intermédiaires
- traité par le cerveau permettant le passage d'une sensation brute à une perception plus fine (je ressens une sensation de brûlure, puis je réalise que c'est parce que j'ai touché la plaque électrique chaude avec ma main). Il en résulte une réponse comportementale plus ou moins adaptée selon le contexte (je retire ma main de la source de chaleur).
La modulation sensorielle est une capacité du cerveau à réguler, filtrer le flux d'informations sensorielles. Ainsi, en fonction d'une situation donnée, certains stimuli seront relégués au second plan alors que d'autres seront priorisés. Le dysfonctionnement de ce processus de modulation sensorielle créé une difficulté d'assimilation des stimuli avec des conséquence sur la régulation des émotions, l'acquisition des habiletés motrices et la maîtrise des comportements. La notion de modulation sensorielle est liée à celle d'habituation. Cette dernière se traduit par la reconnaissance d'une sensation que le système nerveux perçoit comme familière au point de ne plus mobiliser son attention sur elle. Sans habituation, nous serions continuellement distraits par chaque stimulus représentant sans cesse une nouveauté (la sensation des vêtements sur la peau, le bruit d'une horloge). L'habituation est donc nécessaire à tout être humain pour maintenir son attention.
Vous l'aurez compris, tout comme la modulation sensorielle, l'habituation fait défaut à un enfant présentant une hypersensibilité. Un exemple très concret: Imaginez que vous êtes en train de parler avec quelqu'un. Une autre conversation a lieu entre deux autres personnes, à côté de vous. Si vous êtes un individu lambda, neurotypique, non porteurs des troubles évoqués précédemment, vous n'aurez aucun mal à suivre votre interlocuteur si son discours est cohérent car les stimuli tels que les voix de vos voisins seront mis en sourdine par votre cerveau (merci à la régulation sensorielle et à l'habituation).
A l'inverse, si vous êtes neuroatypique, vous ne pourrez pas suivre aisément votre interlocuteur car vous percevrez au même niveau, avec la même intensité, sa voix ainsi que celles de vos voisins. Si en plus de cela, les éclairages sont trop lumineux et qu'il fait trop chaud ou qu'il y a de la musique, vous serez alors très vite en surcharge émotionnelle.
Ainsi, chez l'enfant neuroatypique, le moindre stimulus (lumière, bruit, contact, mouvement) est susceptible de déclencher un inconfort car trop d'informations arrivent au cerveau pour pouvoir être traitées efficacement. Ce dysfonctionnement de la modulation sensorielle a des conséquences telles que :
- au niveau comportemental, elle occasionne une distraction importante, une hypervigilance, ce qui perturbe sans cesse l'attention de l'enfant par rapport à la tâche en cours. Or, la perception sensorielle précède l'attention dans la chaîne des processus cognitifs. Elle provoque également un évitement des sensations trop intrusives, l'enfant peut alors se boucher les oreilles, refuser le contact en cas d'hypersensibilité tactile ...
- Compte tenu de ses difficultés à utiliser des informations sensorielles externes (notamment visuelles) pour guider et contrôler l'action, il est logique de trouver des déficits moteurs persistants chez des enfants autistes par exemple.
- Les difficultés d'interaction sociale, consécutives pour certains à leurs fragilités sensorielles, peuvent rendre difficile l'engagement de ces enfants dans les sports collectifs et autres activités physiques et donc amoindrir les opportunités de s'entraîner et de progresser.
- Enfin, les troubles sensoriels occasionnent également une difficulté à maintenir une perception de soi cohérente, d'habiter son corps, voire de l'incarner. En effet, la conscience du corps se basant notamment sur la sensation d'une limite entre l'intérieur et l'extérieur de ce cernier, les particularités sensorielles au niveau de la surface de la peau et plus globalement de la sensibilité profonde peuvent probablement contribuer à une impression d'étrangeté.
Olivier Gorgy et Aurélien d'Ignazio Concevoir des programmes sensoriels pour personnes autistes, Editions Tom Pousse, 2022